Festival d’Aurillac, fin de saison — Lundi 3 septembre 2018 

(…) en grande forme, Délices Dada. Qui convient le public à un concert nocturne dans la cour d’un lycée. Au programme, Les 4 Saisons de Vivaldi, réarrangées par Chris Chanet avec la participation active de la chanteuse lyrique Clarisse Piroud. Une petite heure délicieusement dada en effet, parsemée de touches loufoques — pantomimes, digressions, jeux de mots et questionnements philosophiques — sans lâcher pour autant le fil mélodique. Un petit objet théâtral et musical parfait, dans le fond comme sur la forme, avec notamment un dispositif scénique en carré qui permet de ne pas faire de jaloux ; à chacun des mouvements, la position des spectateurs est redistribuée : ceux au premier rang pour écouter Le Printemps se retrouveront derrière quand viendra L’Hiver.

René Solis  delibere.fr/author/rsolis/

 

La Dispute France Culture — Lundi 17 Septembre 

Le coup de cœur de René Solis 

 «… c’est le style Delices DADA à la fois complétement loufoque, minimaliste, il y a très peu de chose, c’est une pantomime, il y a des objets, des tas de choses et c’est en même temps d’un sérieux artistique impressionnant. Un spectacle formidable ! » 

 

L’insatiable — Jeudi 12 octobre 2018

Delices Dada Les 4 saisons : un exercice de dérision ou une version naïve ? 
 par  Jean-Jacques Delfour,                         

[extraits](…) Délices Dada a toujours affirmé sa liberté quant aux objets et questions mis en scène. Il serait oiseux de sommer chacune des créations de cette illustre compagnie de passer devant le tribunal des autorisations d’exister, que ses juges soient des encenseurs ou des fustigateurs de la liberté artistique. Ce serait vrai, d’ailleurs, pour toutes les créations. Comme son nom le suggère, Delices Dada est tourné essentiellement vers la jouissance et sa paisible dérision plus ou moins absurde. Pessoa disait : « Absurdons la vie, d’est en ouest » 

Le théâtre de rue agit ainsi : parasiter une forme par une autre, introduire du non-sens dans du sens figé et ainsi créer du sens neuf, mélange instable de signification et d’absurdité. Ça pourrait être une de leurs maximes.(…)

Plus que la naïveté (que nous abandonnons sans regret), ce spectacle met en scène deux relations contraires : une fidélité et une trahison, une tradition et un arbitraire, un conformisme et une innovation. Cette contradiction dérive de la structure même du sacré. Les quatre saisons de Vivaldi est un objet culturel sacré, sacré donc outragé. (…) 

Delices Dada attaque la profanation par l’instrument : trois saxophones (alto, baryton, ténor) jouent l’ensemble de la partition (un petit collage de violons et violoncelles de quelques secondes soutient un crescendo un peu difficile au saxo dans L’été). Fidélité : la partition, toute la partition, rien que la partition. Trahison : le renvoi à un genre populaire, le jazz, aux antipodes de la musique baroque (du moins selon la hiérarchie bourgeoise des genres musicaux). Cependant, cette interprétation au saxo ne jazzifie pas Vivaldi : pas de swing, pas de batterie, rien du rythme typique du jazz. D’où une sensation complexe, mêlant le plaisir de reconnaître Vivaldi et l’insinuation d’une étrangeté pas très inquiétante mais déstabilisante si l’on croit à la vérité des étiquettes.

Si l’on s’en tenait là, ce spectacle deviendrait un concert un peu spécial. Mais c’est du théâtre de rue. Vivaldi a écrit, pour chaque saison, et pour chaque mouvement, un petit texte illustratif. C’est dans cette partie souvent ignorée que les comédiens de Delices Dada ont puisé un alibi pour l’introduction de saynètes, plus ou moins burlesques, parfois triviales, fréquemment drôles. Si Vivaldi l’a fait, pourquoi pas eux ? Dans ce texte d’accompagnement, on lit que le printemps finit sur une bacchanale, que le tonnerre gronde en été, que le pâtre tremble face à l’orage « le pastoureau gémit et tremble, car il craint le choc de la bourrasque et son propre destin », que Bacchus est à nouveau fêté en automne, qu’on y chasse la bête, que les oiseaux y sifflent beaucoup, et que les vents classiques, tels des acteurs de drames très antiques, y soufflent abondamment. Le code du naturalisme est certes très convenu. D’où l’introduction, par-delà l’illustration soigneuse, de la déviation dérisoire. À nouveau ce couple contradictoire de rigueur et d’anarchie, de citation et d’impertinence. Mais il y a une autre couche : vocalises, bruitages, jeux de mots, gags graphiques, micro-obscénités, qui augmentent encore la torsion esthétique et amplifie un plaisir assurément polysémique.(…)

L’œuvre classique, tirée de la « grande musique » (musique de chambre et de riche), est déplacée et installée dans une sorte de cirque, un entresort circulaire, un espace d’écoute et de vision dont le public occupe le centre tandis que les comédiens tournent autour. 

En général, la grande musique est frontale : la salle de concert a pour modèle l’espace ecclésial, c’est-à-dire un espace polarisé et très clivé. Ici, l’orchestre est invisible, l’anneau et le cercle ondulé introduisent une homogénéité toute démocratique, avec aussi des signes de la fête (les guirlandes, la farandole). C’est une autre pente du théâtre de rue : le glissement du spectacle à la fête, que l’esthétique du XVIIIe siècle avait soigneusement séparés. (…)

Le plaisir est issu de ce flux d’émotions tenues pour contraires : d’un côté la joie sérieuse de la musique, de l’autre la gaieté insolente de la dérision.(…)Mais il y a plus.

La dérision est elle-même multiple. Celle de Delices DADA ni sardonique, ni cruelle, ni grinçante, ni fielleuse, ni méchante. C’est une dérision bienveillante, aimable, sympathique, qui rassemble, à la limite de la rupture mais souple, drôle, bref qui rend heureux. Loin d’être cassante, comme pulsion de rabaisser, cette dérision élève et charme, séduit, produit un étrange état de gaité et de distance.(…)

La signature de Delices Dada, c’est peut-être ça : l’invention d’une dérision comique, bienveillante et douce. Qui libère différemment de la critique savante ou militante. Demander si « Vivaldi rend fou ? », c’est, sous l’incongruité de dérision, esquisser l’essence du geste festif : détrôner le passé prestigieux et intimidant au profit d’un présent puissant, collectif, transitoire, joyeux, qui ôte les chaînes et les carcans des rôles sociaux imposés.

Voilà en quoi ce délicieux spectacle de Delices Dada est non un testament, ni une pièce naïve, ni un spectacle dépolitisé, mais un théâtre de l’art théâtral lui-même, une mise en visibilité du geste artistique typique du théâtre de rue. Dans toute forme socialement déjà définie, il y a la conscience obscure de son caractère arbitraire. C’est pourquoi la dérision, en ses diverses formes, est jugée si dangereuse, si diabolique : elle rend visible la fragilité fondamentale de toute organisation sociale figée et dont le sérieux est le symptôme et la censure le bras armé.

Voir l’intégralité du document sur https://linsatiable.org/delices-Dada-Les4saisons

 

Pierre, Annemasse — Vendredi 25 mai 2018

Une proposition simple et basique avec toutes les qualités de ces qualificatifs.
Pas de propos « pompeux », mais une invitation à prendre plaisir.
Une frivolité généreuse et indispensable de nos jours.
L’interprétation de qualité, précise et précieuse porte cette fresque lumineuse, et le casting dada reste détonnant.  

 

Geneviève Perraud, Libre arbitre — le Lundi 07 mai 2018

Vivaldi, Delices DADA et leurs 4 SAISONS - Un spectacle inclassable, un véritable plaisir !

Les 4 SAISONS de Delices DADA renouvelle le théâtre forain avec modernité et puise avec bonheur dans le registre de l’absurde. On peut déceler dans les premières scènes un poétique hommage  aux premiers pas du théâtre de rue cherchant alors davantage leur identité dans l’image, le pastiche, la mise en jeu des corps, le muet que dans la littérature théâtrale.

Puis très rapidement, les tableaux successifs affirment un humour plus mordant, un style que l’on peut qualifier de dadaïste parce que totalement emprunté au souci de ce mouvement d’en finir avec le sérieux de l’Art, ce style délicieux qui caractérise les créations de cette Compagnie confrontée ici à l’exigence du muet.

Ce qui se dégage de ce joyeux désordre de couleurs et de sons soigneusement inscrits sur chacun des tempos successifs de la musique de Vivaldi, c’est une ode à la liberté créative.

Il y a aussi  dans cette habile accumulation de métaphores, une ironique évocation du déroulement du temps ou de la vie que soutient en continu la spectaculaire transposition pour saxophones réalisée par Chris Chanet. Ce pilier historique de Delices DADA paraît en outre avoir tout a fait trouvé sa place en tant que bruiteur/chanteur pour renforcer en direct sa tumultueuse bande son. Il faut dire qu’il est au mieux accompagné par Clarisse Piroud qui nous donne, en plus de sa drôlerie, quelques très belles performances vocales et une palette étonnante de registres vocaux.

Les six autres interprètes – Richard Brun, François Palanque, Marion Piqué, Gaëlle René, Jeff Thiébaut et Ilijana Vukmir - animent sans relâche un ballet de figurines en contreplaqué peint, un véritable zoo plus ou moins allégorique relié aux saisons, des fleurs, des arbres, des verres… Chacun se singularise par une dynamique très personnelle apportant une variété virevoltante à l’enchaînement très rapide de tableaux qui constitue ce spectacle. 

S’y rajoute  régulièrement un Quiz surréaliste questionnant, grâce à une série de pancartes imprimées, chacune des saisons, suscitant en réponse une courte séquence jouée puis une réponse imprimée. La dernière pancarte demandera «Vivaldi rend-il fou?». Elle répondra « Pas toujours ! ». On a eu peur…

Quand, en final, le dispositif lumineux qui délimite la place du public au centre de ce grand cercle des saisons, s’ouvre et que les acteurs nous invitent à danser la farandole avec eux, le sentiment de joie que procure ce spectacle se lit sur les visages des danseurs qui fêtent ensemble jusqu’à la dernière note le retour au printemps, la ronde éternelle du temps.                                 

Geneviève Perraud

Géographie des bords